Bien que le parcours d'Augusta National soit visuellement splendide et fascinant d’un point de vue architectural, il constitue, à mon humble avis et à plusieurs égards, un exemple à ne pas suivre en vue de rendre le sport du golf plus accessible et plus en harmonie avec la nature qui l’entoure. Il est l’antithèse de ce que devrait viser l’industrie du golf pour assurer sa survie à court, moyen et long-terme…
Chaque année, le Tournoi des Maîtres marque en quelque sorte le début de la saison de golf en Amérique du Nord. Bien que celle-ci soit démarrée officiellement depuis octobre dernier sur le PGA Tour, avec une série de tournois de moindre envergure un peu partout dans le monde, l'intérêt pour le golf renaît réellement lorsque le Tournoi des Maîtres se met en branle. C’est particulièrement le cas ici au Québec, alors que la neige fond de plus en plus et que les journées allongent!
L’intérêt que suscite le Tournoi des Maîtres vient de plusieurs facteurs : le fait que ce soit le premier tournoi majeur de la saison, son historique, ses grands champions et l’aura de mystère qui plane sur ce club de golf mythique et fort élitiste. Cependant, ce qui stimule à mon avis le plus les golfeurs, c’est le parcours et toute la beauté et la sérénité qui en émanent. Alors qu’une grande partie de la population de l’Amérique du Nord range encore ses pelles, ses skis et ses pneus d’hiver, le spectateur est soumis à des images pittoresques des plus spectaculaires : des allées vertes et immaculées, une végétation dense et luxuriante, des arbustes en fleur, des sous-bois clairsemés et propres, des étangs d’un bleu étincelant. La nature dans toute sa splendeur et toute son… artificialité, quoi!
Digne d'Hollywood
La dernière phrase en surprendra plusieurs. D’autres, j’en suis certain, ne sont pas dupes par rapport à la qualité du décor enchanteur qui leur est offert, digne des meilleures productions hollywoodiennes. C’est que, effectivement, ce sont les ressources quasi inépuisables dont dispose ce parcours qui rendent possible ce spectacle à grand déploiement. Ainsi, malgré toute l’admiration et l’intérêt que suscite le parcours d'Augusta National avec ses verts diaboliques et ses trous stratégiques, je me dois cependant d’émettre certaines réserves quant à l’image qu’il projette à travers le monde depuis des décennies. En tant qu’architecte, je suis autant fasciné par le parcours, que consterné par les dommages qu’il peut causer à l’industrie…
En offrant année après année un spectacle immaculé sur nos écrans télévisuels, les dirigeants de ce club mythique ont créé un standard visuel que trop de clubs nord-américains s’emploient à atteindre pour le bénéfice de leurs membres, et bien souvent, à leur demande. C’est ce que plusieurs réfèrent dans l’industrie comme étant «l’effet Augusta». Or, le niveau de perfection visiblement atteint dans l’entretien de ce parcours hors du commun n’est possible qu’avec un budget d’entretien astronomique et une main-d’œuvre imposante totalement dédiée à faire de l’endroit le plus beau parcours de golf de la planète lors de la tenue du tournoi.
Par ailleurs, plusieurs autres facteurs dont rêvent sûrement plusieurs surintendants de parcours contribuent à faciliter la tâche d’entretenir ce parcours hors du commun. Bien qu’il soit situé dans le sud des États-Unis, le parcours est fermé à ses membres plusieurs semaines avant le tournoi et une grande partie de l’été pour y pratiquer un entretien soutenu visant à le protéger des températures chaudes et humides de la région. Aussi, les voiturettes n’y sont pas admises et la marche est le seul moyen de fréquenter le parcours. Que dire également du fait que, même lorsqu’il est ouvert aux membres, il n’est pas rare de n’y voir que quelques quatuors par jour.
Système d'aération souterrain

D’autres facteurs agronomiques ou reliés à l’entretien ne sont pas à négliger non plus. Plusieurs verts du parcours sont munis d'un système d’aération souterrain permettant un contrôle minutieux du drainage, de la température et de l’humidité des verts. Le parcours entier est également équipé d’un système d’arrosage offrant une couverture parfaite et complète de toutes ses installations. Une seule vue à vol d’oiseau du parcours sur Google Maps en comparaison à ses environs immédiats parviendront à convaincre à quel point ce système est efficace. Un accès à la machinerie dernier cri et aux meilleurs gradués des écoles d’agronomie simplifie aussi le travail des responsables du Club. À Augusta, il n’y a aucun problème de recrutement de main-d’œuvre qualifiée et motivée, contrairement à la situation de la majorité des clubs de golf du Québec. Quel surintendant ne rêve pas de telles conditions pour pratiquer son art?
Un autre élément, dont on discute annuellement en vue du tournoi, est la propension du Club à modifier le parcours pratiquement chaque année en vue de protéger sa réputation face à l’assaut de golfeurs professionnels de plus en plus puissants et performants. Aucun trou n’a été épargné au fil des années. D’ailleurs, la revue Golf Digest a répertorié cette année l’ensemble des modifications réalisées sur chacun des trous depuis l’ouverture du Club en 1933. La lecture de ces données est fascinante et démontre clairement la volonté du Club à lutter contre les changements technologiques des dernières décennies faisant des golfeurs de véritables machines. Reconstruction de verts, allongements de trous continuels, rétrécissements d’allées grâce à la plantation d’arbres matures modifiant de manière immédiate la largeur des corridors, introduction d’herbe longue pour ralentir les coups de départ jugés trop longs, etc. Aucune dépense n’est jugée trop importante et aucune avenue n’est laissée inexplorée pour faire en sorte que les records des joueurs puissent être préservés, et non pas battus, donnant ainsi l’impression que le parcours est trop facile. L’achat de terrains avoisinants est même utilisé pour agrandir le parcours ou améliorer l’expérience des spectateurs et journalistes lors de la tenue du tournoi. Nul doute que l’architecte initial du parcours – le grand Alister MacKenzie – se retournerait dans sa tombe devant l’ampleur des modifications apportées à son œuvre au fil des années. Tellement qu’il ne reconnaîtrait plus certains trous!
Rêve inaccessible
Donc comme mentionné en début de texte, Augusta National est l’antithèse de ce que devrait viser l’industrie du golf pour assurer sa survie, soit offrir des parcours à l’empreinte environnementale restreinte, plus simples, accessibles à tous et à un coût raisonnable. Et que dire des politiques du Club dont le membership a été longtemps fermé aux femmes et aux minorités visibles? Elles sont encore loin de contredire les détracteurs du sport qui le considèrent comme rétrograde et d’une autre époque.
En pourchassant sans cesse l’idéal de perfection que représente Augusta National, les dirigeants de parcours de golf d’ici et d’ailleurs se mettent une pression intolérable sur les épaules. De la même manière, en exigeant de tels niveaux de conditions de jeu, les golfeurs en général rendent leur sport de plus en plus dispendieux et élitiste, à son propre détriment. Le parcours du Augusta National doit donc être apprécié pour ce qu’il est, soit une vitrine vers un rêve inaccessible, un peu à la manière de l’industrie de la mode qui nous présente sans cesse ses icônes d’une beauté parfaite et intemporelle auxquelles peu de gens peuvent réellement aspirer.
À partir du moment où on devient conscient de ce fait, ce parcours mythique peut être apprécié d’un nouvel angle. Ceci étant dit, malgré mes opinions partagées sur le Club et son parcours, je serai au rendez-vous au cours du weekend qui vient, car ce tournoi est unique à l’échelle planétaire et toujours riche en émotions et rebondissements.
Mais de grâce, je vous en prie, la prochaine fois que vous croiserez votre surintendant et son équipe, remerciez-les donc chaleureusement pour les miracles qu’ils réussissent à accomplir année après année avec des budgets souvent décroissants et des changements climatiques déstabilisants, au lieu de leur demander quand votre parcours aura l’air d’Augusta National. Ils vous en seront sans doute très reconnaissants!
Quelques références:
Article intéressant sur la tentative du Club d’acheter un terrain voisin au parcours :
http://www.golfdigest.com/story/the-masters-special-report-the-club-next-door-augusta-country-club
Article sur les changements du parcours depuis son ouverture :
http://www.golfdigest.com/story/the-complete-changes-to-augusta-national
Yannick Pilon Golf © 2017
(NDLR : Réagissez à ce texte, on attend vos commentaires!)
Marc-André Latulippe
Vraiment bon ton article ……
Jean Maheux
Très bon article et très intéressant. Je partage votre idée. Votre article devrait être lu par tous les golfeurs. Félicitations.
Germain Pépin
Excellent article Yannick. Les budgets alloués pour rendre ce parcours l’un, sinon le plus beau du monde, sont faramineux. Loin effectivement des budgets consentis aux surintendants de nos parcours au Québec, qui pourtant, année après année, font des miracles pour conserver de très bonnes conditions de jeu. Sur l’aspect des changements apportés au parcours d’Augusta National, au fil des années, je crois cependant que les dirigeants n’avaient pas le choix pour en conserver sa dignité. En raison notamment de l’amélioration des technologies (bois de départs, fers, balles), du perfectionnement des élans, des équipements pour mesurer les trajectoires de balles et la déviation des coups roulés, de la meilleure condition physique des golfeurs faisant partie de l’élite, je crois que le parcours n’aurait pas été suffisamment un défi pour eux sans ces changements.
Yannick Pilon
Bonjour Germain,
À mon avis, modifier un parcours constamment pour préserver sa « dignité » (ou protéger l’intégrité de la normale, comme on entend dans le jargon du PGA Tour) est un faux débat qui contribue à la surenchère de dépenses que se font les clubs entre eux pour conserver leur réputation. En fait, les clubs ont peur que les joueurs battent des records de pointage lors des tournois, ce qui fait que leur club aurait l’air plus facile que les autres. Quelle est l’importance réelle d’un pointage de -5 au lieu de -15? Les joueurs jouent tous le même parcours et c’est le golfeur avec le moins de coups qui finira par l’emporter. À bien y penser, j’en ai long à dire sur la question qui mériterait un autre article!
Yannick Pilon
Richard Boulianne
Parfaitement d’accord avec ces commentaires et c’est pour cette raison que je suis très fier du travail effectué par notre surintendant au Club de Golf de Napierville. Quand même ce golf est tout à fait remarquable à Augusta. Merci
francois Mathieu
Très bonne article sauf que je ne crois pas que les membres de plusieurs clubs ont comme référence Augusta National, à moins de faire partie de clubs comme le Royal Montreal , Elm Ridge, Mont Bruno ou Memphrémagog. Je crois surtout que les attentes si élevés proviennent des gens qui font plusieurs échanges entre les clubs. Avant, les gens restaient dans leur club. Maintenant , les gens ont l’avantage de jouer dans d’autres clubs, ce qui fait que ceux-ci sont plus renseignés qu’auparavant. Autre élément: Golf Channel n’existait pas avant. Nous visionnions du golf 3 à 4 fois par année à la télé. Maintenant, c’est 24/24 heures si nous le désirons. Les gens sont assez intelligents pour faire la distinction entre Augusta National et les terrains au Québec. C’est un rêve inaccessible à mon sens.
Yannick Pilon
Merci François,
Le stimpmeter est aussi un élément qui a nuit à l’industrie dans le sens que les gens se comparent d’un club à l’autre, effectivement. Et il utilisent bien souvent la vitesse des verts pour faire leur comparaison, et ce même si des verts de clubs différents sont bien souvent de différentes époques. Des verts plus anciens auront des pentes plus fortes car les clubs n’avaient pas la technologie moderne nécessaire pour tondre la pelouse aux hauteurs d’aujourd’hui. Si bien que plusieurs clubs se voient forcés de reconstruire des verts trop pentus sous prétexte qu’il ne peuvent plus y positionner le trou à cause des vitesses trop rapides exigées par les membres. Tout ça, encore une fois, bien souvent trop influencé par les vitesses discutées dans les tournois majeurs qui sont bien souvent si hautes que les verts sont en état de stress intense tout le long des tournois au risque de les perdre…. Encore une fois, ceci devrait faire l’objet d’un autre article!
Yannick Pilon
JEAN BOURQUE
Très bon article,d accord a 100%.
Rénald Turgeon
Je suis un peu moins d’accord avec votre orientation!!! Augusta c’est Augusta !!! On doit se comparer avec les meilleures pour s’améliorer!!! On est pas stupide de demander à nos surintendants d’avoir les conditions de Augusta!!! Mais …ce n’est pas en nivelant par le bas que ton club peut s’améliorer!!! Je suis chanceux car ça fait 9 fois que je marche le parcours d’Augusta …oui 9 fois et c’est un pèlerinage à chaque fois …mais je ne vais plus à l’église à Québec !!! Bon Masters sunday !!!